Jiani Wei : « Créer du bien pour tout le monde, sans bullshit »

Boîte noire
6 min readJan 11, 2021

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La journée, boulot officiel. La nuit, développement d’une application de santé mentale basée sur l’intelligence artificielle.

Jiani Wei.

Le monde de l’intelligence artificielle semble regorger de projets éblouissants tout droit sortis d’entreprises excitantes et sur-financées. Mais comment se lancer dans cet univers lorsque l’on ne sort pas du MIT ou de l’université de San Diego ? Sans surprise, cela demande beaucoup de travail sans garantie de réussite.

Depuis quelques mois, Jiani Wei œuvre au développement de Voolsi, une application qui utilise le machine learning pour surveiller la santé mentale de ses utilisateurs. En dépit de sa défaite au concours AI For Tomorrow l’année dernière, Voolsi continue de croître entre les mains d’une petite équipe sans trop de temps ni de moyens, mais avec la foi.

Bonjour Jiani. Qui êtes-vous ?

Jiani Wei : Je viens de Shanghai et je suis en France depuis un peu plus de quatre ans. Je suis d’abord venue pour étudier le marketing, mais je me suis vite rendue compte que c’était trop… Blabla, dans le bluff. J’ai donc postulé à l’emlyon dans une formation en Data Science, et j’ai été prise. Voolsi est né peu après.

Qu’est-ce que Voolsi ?

Voolsi est une application de monitoring de la santé mentale qui utilise le machine learning. Nous sommes encore en développement, mais nous voulons permettre aux gens de suivre leur niveau de stress ou de dépression dans des rapports quotidiens et hebdomadaires, puis leur donner des conseils pour mieux gérer.

Comment feriez-vous ça ?

Nous avons entraîné un réseau de neurones artificiels qui utilise des mesures de la fréquence cardiaque prises par des wearables et d’autres paramètres, comme l’âge et le genre, pour estimer votre niveau de stress. Nous permettrons aussi aux utilisateurs de tenir un journal de leurs émotions sur lequel nous ferons de la détection de sentiments grâce au traitement automatique des langues.

En croisant l’ensemble, nous pourrons générer un bilan qui dira quelque chose comme : « Hier, tu as eu un pic de stress à tel moment, à cause de tel événement. » Ensuite, on fournira une recommandation. Pour le moment, notre version beta donne des conseils de coaches de yoga en open source… Je décrirais notre initiative comme bootstrap. [Rires]

Je veux bien le croire, car vous êtes seulement trois dans votre équipe.

En effet, nous manquons de bras. Il y a un ingénieur, un social manager et moi-même… Nous avons tous les trois un travail à temps plein. Mais il semble que nous ayons attiré pas mal d’attention grâce à AI For Tomorrow et ça, c’est bien ! Ça nous pousse à aller plus vite sur le développement de l’application. Au moment du concours, nous étions avec deux autres personnes, notamment une doctorante en machine learning d’origine algérienne. Maintenant, elle a pris le rôle de coach car elle fait un post-doctorat. Elle n’a plus le temps.

Comment se passe le développement dans de telles conditions ?

Nous développons seulement sur iOS car nous ne pouvons pas nous permettre de faire Android en même temps, mais nous avons déjà entraîné deux modèles pour l’analyse du stress. Le second est plus précis, mais on a eu des problèmes d’intégration dans TensorFlow Lite, parce que les données du Apple Health Kit ne sont pas compatibles avec lui… Donc nous avons intégré le premier sur mobile et nous continuons à plancher. On fait ce qu’on peut ! Et nous avons déjà une bonne précision.

Comment avez-vous entraîné ces modèles ?

Des données venues de Kaggle, mais aussi de l’Institute for Computing and Information Science de l’université Radboud, aux Pays-Bas. Ils ont invité des volontaires en laboratoire et ils ont pris les données sur eux pendant une journée, avec tous les événements que cela suppose : appels, emails, déjeuner, pause café… Ces données ressemblent beaucoup aux données du Apple Health Kit.

Les données de santé sont un sujet sensible. Comment gérez-vous ça ?

Toutes les données que nous avons utilisées sont anonymisées. Un juré de AI For Tomorrow a cru qu’on avait exploité des données publiques… Pour être honnête, tous les projets open source sont basés sur des données publiques. Un projet data science ne va jamais partir de rien et payer des milliers d’euros pour des données cliniques. Mais nous, nous n’aurons pas de Personally identifiable information quoi qu’il arrive, et nous ne monétiserons pas ces données car nous en avons besoin pour continuer à entraîner nos modèles.

Vous voulez donc perfectionner un modèle avec Voolsi…

En fait, pas « perfectionner ». Nous sommes déjà sur une phase de validation, ce qui signifie que ça marche déjà bien. Mais quand un algorithme sort sur le terrain, il a parfois des problèmes. Il peut être trop performant et donc pas applicable à chaque personne, ou pas assez performant, ce qui signifie qu’il manque de paramètres. Pour le moment, nous ne disposons pas d’informations sur le style de vie des personnes. Est-ce qu’elles sont sportives, fumeuses, ont-elles des antécédents familiaux…? Pourtant, ce sont des paramètres importants.

J’ai parlé récemment à un doctorant qui utilisait des données hospitalières pour son projet de machine learning…

Je suis curieuse. Qui était-ce ?

Adam Yala, du MIT.

Ah, bien sûr. [Rires] Le MIT est lié à certains hôpitaux. Pour eux, c’est facile ! Mais quand on sort de business school, ça l’est beaucoup moins.

Au fait, comment est né Voolsi ?

J’ai rencontré notre social manager pendant un hackathon. Nous étions six sur un projet de hardware, des écouteurs imprimables en 3D avec des capteurs dedans. Ça marchait, hein ! Notre idée était de créer un objet de routine. J’ai l’habitude de courir avec mon Apple Watch mais il m’arrive de l’oublier. Alors que les écouteurs, impossible de partir sans. Dès lors, pourquoi ne pas utiliser des écouteurs pour prendre des mesures et générer un bilan hebdomadaire ou journalier à la façon de l’Apple Watch ? Le confinement a mis un coup d’arrêt à tout ça et nous avons décidé de pivoter vers quelque chose de plus agile. Une application semblait le meilleur choix, le bon compromis.

Et pourquoi la santé mentale ?

Je suis parfois très anxieuse. Et pendant le confinement, j’ai découvert que beaucoup de gens avaient le même souci. L’idée vient de là. En France, les psychiatres coûtent super cher. Et le temps que tu te rendes comptes que tu devrais aller en voir un, c’est déjà trop tard… Tout simplement. Je trouve que c’est un sujet intéressant et que la rencontre avec le machine learning fonctionne bien. Et puis, c’est trendy.

J’ai l’impression qu’il existe déjà beaucoup d’applications de ce genre.

Il existe beaucoup d’applications de yoga, de méditation, en effet, mais qui ne sont souvent là que pour revendre des données et qui n’utilisent pas forcément le rythme cardiaque. Les papiers de recherche sur ce sujet sont tout récents, on vient de découvrir qu’une variation dans le rythme cardiaque peut permettre de dire que quelqu’un est déprimé ou pas. On veut vraiment créer du bien pour tout le monde, en bootstrap. Mais vraiment ! Sincèrement. [Rires] Je sais que ça semble bullshit, mais on n’est pas bullshit là-dedans.

Je remarque que votre équipe est largement féminine. Or, le domaine de l’intelligence artificielle est réputé peu paritaire… Vous n’avez pas eu de problème à ce niveau-là ?

Je dois préciser que notre ingénieur est un mec ! Mon professeur d’intelligence artificielle à Lyon est une femme, et elle fait partie des plus pointues dans ce domaine. Nous sommes en 2021, il ne faut pas déconner non plus. Ceux qui sont compétents et ambitieux prennent les postes, c’est tout. La discrimination, ça ne peut pas et ne doit pas exister. Les gens qui ont un problème avec les femmes doivent juste se faire une raison. ∎

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